Mes meilleurs souvenirs de mes grands-parents sont du temps que j’ai passé à les écouter me raconter leurs histoires. Les histoires sur leur rencontre, leur fréquentation, leurs défis. Les histoires sur leurs difficultés pendant la Shoah, les épreuves et les tribulations qu’ils ont rencontré en quittant la Roumanie pour faire l’aliyah, les histoires de mes parents lorsqu’ils étaient enfants – je ne m’en fatiguais jamais. Même aujourd’hui, je suis encore capable de réciter la plupart de ces histoires presque mot pour mot. Ces récits de leurs aventures et de leurs mésaventures ont façonné ma vision du monde, mon identité et mon sens du bien et du mal. En tant que lectrice avide, j’ai lu beaucoup de livres, mais ce sont ces histoires partagées de mon passé, de l’histoire de ma famille, racontées dans un langage imagé ne pouvant être décrites ainsi que par ceux qui les ont vécues, qui m’ont le plus marqué.
Dans tout le Séfer Beréchit et au début de Séfer Chemot, la Torah se lit comme une histoire très intéressante et passionnante. Dans la paracha de cette semaine, cependant, il y a un changement dans le récit, tournant vers des instructions directes d’éthique et de halakha. Certains se sont demandé si la Torah était un livre de récit ou un livre de droit. Bien que nous connaissions la réponse, même Rachi et Nahmanides reconnaissent que la majeure partie de la Torah est une histoire fascinante. Le rabbin Dr. Tzvi Hersh Weinreb, érudit de la Torah et psychologue clinicien, comprend le pouvoir d’un récit. Comme il l’explique, rien n’est plus puissant ou capable d’influencer le cœur et l’esprit d’un homme qu’une histoire. « Un bon roman, écrit-il, est plus puissant que le meilleur livre de droit ».
Dans Parachat Bo, nous lisons le récit des trois dernières plaies. Hachem demande aux Bené Israël de se souvenir de la sortie d’Égypte pendant la fête de Pâque. Au cœur de cette commémoration est le récit de l’histoire aux enfants. Premièrement, la Torah insiste sur le récit des plaies à nos enfants et petits-enfants : « et afin que tu racontes à ton fils, à ton petit-fils, ce que j’ai fait aux Égyptiens et les merveilles que j’ai opérées contre eux » (Chemot 10:2). Et plus loin : « Tu donneras alors cette explication à ton fils » (Chemot 13:8). En effet, nous devons raconter à nos enfants, même les plus jeunes, l’histoire de Yetziat Mitzrayim et tous les miracles que Hachem a faits pour nous pour nous libérer de l’esclavage et nous faire sortir d’Égypte.
Pourquoi à Pâque, en particulier? « En ce jour » fait référence à Erev Pessah et à aucun autre moment de l’année. Selon Mechilta, c’est pour que l’histoire soit racontée lorsque nous consommons la matsa et les herbes amères. Avec chacun des éléments du Seder comme la matsa, les herbes amères et l’os, les participants deviennent témoins de l’histoire étant racontée (HaDéah VéhaDibbour). En engageant plus de nos sens, le récit implique et touche celui qui le raconte ainsi que les participants au Seder. Cela devient une expérience immersive globale. On nous demande de nous voir comme si nous aussi avons été sortis d’Égypte et le cadre est créé pour rendre cela possible.
Il y a eu une étude approfondie sur les effets de la narration sur le cerveau. Les résultats comprennent, entre autres, l’identification des zones du cerveau activées et engagées, la libération observée d’ocytocine, l’hormone responsable du lien social, et l’activation du « cerveau droit » ou centre d’imagination du cerveau. Il s’avère que raconter une histoire est la manière la plus efficace d’engager un public. Il n’est pas étonnant qu’il s’agisse des formes les plus anciennes de communication et de transmission d’informations.
Le récit de l’histoire du peuple juif dure depuis plus de 3000 ans, transmis d’une génération à l’autre, nous reliant tous directement à ce premier récit de Moshé Rabbenou. Le rabbin Yehoshua de Belz souligne que les deux fils de Moshé, Gershom et Eliezer, n’ont pas été témoins de l’Exode car ils étaient restés avec leur grand-père Yitro. Lorsqu’ils ont été ramenés à Moshé, ils n’avaient pas été présents lors de l’Exode. Le rabbin Yehoshua explique : « Pour que vous puissiez raconter l’histoire… » semble curieux puisque le premier conteur devait être Moshé lui-même racontant à ses fils. C’est Moshé qui a façonné comment l’histoire devait être racontée au reste du peuple. C’est ce modèle que nous continuons à suivre aujourd’hui. L’histoire de l’exode s’est passée à un moment où le peuple d’Israël était uni. C’est un point commun dans toutes nos histoires, lorsque nous avons témoigné de la domination de Hachem sur tout, lorsqu’Il a accompli les miracles qui nous ont libérés de l’esclavage. C’est l’histoire qui nous lie tous en tant que peuple et nous rappelle qui nous sommes et la responsabilité que nous portons. Comme il est approprié que notre histoire soit racontée Erev Pessah, lorsque toute la famille est réunie autour de la table. Le rabbin Abraham J. Twerski nous rappelle le passage de Tehillim : « Ah! qu’il est bon, qu’il est doux à des frères de vivre dans une étroite union! » « La première mitsva de Pâque, déclare-t-il, devrait servir de guide de ce qu’il faut pour que nous soyons vraiment spirituels et pour être une nation : michpaha.
Chabbat Chalom,
Dre Laura Segall
Directrice de l’école