En 2014, les Actes de l’Académie nationale des sciences, journal scientifique prestigieux, a publié une étude intitulée “Unconscious Discrimination of Social Cues from Eye Whites in Infants” (Discrimination inconsciente des signaux sociaux des blancs des yeux chez les nourrissons). Ce que l’étude a montré, c’est que le blanc de nos yeux communique d’importants indices sociaux cruciaux pour établir des liens et pour la survie. Il est à noter que de tous les primates, les humains sont ceux qui ont la plus grande sclérotique, les blancs des yeux. Ce simple fait permet aux gens de saisir entre eux des indices non verbaux. Pensez juste à ce que l’on peut transmettre rien qu’avec ses yeux, que ce soit la honte,  l’humilité, la joie ou le bonheur. Et n’oublions pas la profondeur de l’émotion qu’un adolescent transmet en levant les yeux au ciel. La richesse d’émotion qui peut donc être communiquée en face à face avec une autre personne ne doit pas être sous-estimée.

Fait intéressant, dans la paracha de cette semaine, le chorech du mot hébreu panim (visage), peh-nun-heh, apparaît treize fois. Jacob apprend que son frère Esav est en route, prêt pour une confrontation, accompagné d’un entourage de 400 hommes. Ayant peur, Jacob se prépare pour la rencontre avec son frère. Tout d’abord, il envoie à Esav un cadeau généreux, dans l’espoir de l’apaiser. Deuxièmement, il adresse une prière  à D. Enfin, il se prépare à une bataille potentielle. Rachi y fait allusion comme étant une approche à trois volets de la part de Jacob: des mesures défensives,  des mesures offensives et de la prière. La rencontre se déroule mieux que Jacob n’avait osé l’espérer; Esav accepte le cadeau et montre même une affection fraternelle envers Jacob en l’embrassant. Malgré tout le temps qui s’est écoulé, toutes les années passées entre-temps, tous les intermédiaires angéliques, ce n’est que lorsque les deux frères se sont retrouvés face à face qu’Esav a pu surmonter sa colère. Qu’est-ce qui a fait pencher la balance?

La rencontre elle-même semblerait presque digne d’Hollywood! « Pour lui, il prit les devants et se prosterna contre terre, sept fois, avant d’aborder son frère. Ésaü courut à sa rencontre, l’embrassa, se jeta à son cou et le baisa; et ils pleurèrent. » (Beréchit 33:3-4). Le rabbin A. Twerski demande pourquoi Esav a dû courir vers lui si Jacob l’avait déjà atteint? Rebecca a suggéré que Jacob aille chez Laban et d’y rester «  jusqu’à ce que s’apaise la fureur de ton frère » (Beréchit 27:44-45). Comment Jacob pouvait-il savoir si  Esav était toujours en colère ou non?  Mais le verset pourrait également être traduit par « jusqu’à ce que la colère de ton frère se dissipe de toi ». Selon le rabbin A. Twerski, « on peut évaluer ce qu’une personne ressent envers nous selon ce que l’on ressent envers elle ». Ce n’est que lorsque les gens se mettent ensemble pour traiter des problèmes directement les uns avec les autres que ceux-ci peuvent être résolus. Parfois, nous développons des idées fausses sur une personne qui alimentent nos émotions négatives. Ce n’est que lorsque nous sommes face à face et que nous communiquons directement que ces idées fausses peuvent être corrigées. À chaque révérence de la part de Jacob, sa colère s’est apaisée, mais elle n’a disparu que lorsqu’il a « atteint son frère », lorsqu’ils étaient face à face, lorsqu’ils ont pu se regarder dans les yeux et voir les sentiments qui étaient là.

Dans notre ère de technologie actuelle, les « amis » ne sont pas des personnes, mais un certain nombre de clics numériques sur la page d’un réseau social. Nous avons perdu la compétence analogique du temps de présence avec gens qui nous sont chers. Même lorsque l’on ressent des émotions négatives envers une personne, il est bien plus facile d’exprimer ces sentiments négatifs sur une plateforme numérique qu’en personne, directement face à l’adversaire. Le fait de se cacher derrière un écran rend plus fort l’adversaire.

Se retrouver face à face avec une autre personne lorsque l’on n’est pas sûr de ses sentiments peut être intimidant et effrayant, mais c’est pourtant si important. Un texte, « like » ou emoji ne peut transmettre la profondeur d’une émotion, qu’elle soit positive ou négative. Celle-ci ne peut être partagée que lorsqu’on regarde dans les yeux l’un de l’autre. Jacob lui-même a compris que pour avancer dans sa relation avec son frère, il devait l’affronter de face, en personne, et non par l’intermédiaire d’un émissaire.

Comme l’explique l’étude ci-dessus, même les nourrissons sont sensibles aux signaux visuels que nous transmettons avec un regard; une compétence que nous perfectionnons en vieillissant. Aucun gadget technologique ne remplacera jamais vraiment les interactions sociales humaines essentielles qui ont lieu lorsque les gens communiquent et vivent leurs expériences en temps réel. Nous devons prendre le temps de nous asseoir avec nos familles et de nous regarder véritablement en face. Nos enfants nous parlent tout le temps, mais pas avec autant de mots. Il est temps de  les écouter.

Chabbat Chalom,

Dre Laura Segall
Directrice de l’école

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