Il y a quelques années, lors d’une session de journée professionnelle ici à l’école, on nous a fait découvrir un nouvel acronyme: TTWADI. Pendant que le conférencier nous laissait deviner ce à quoi il correspondait (et, puis-je dire, nous faisions preuve de grande créativité), il nous a expliqué que c’est un véritable fléau pour la plupart des institutions. L’acronyme correspond à « That’s The Way We Always Did It » (C’est ainsi que nous avons toujours fait).

Il y a du réconfort dans le traditionnel, dans le familier. Nous nous habituons au chemin que nous empruntons pour aller au travail, aux routines que nous avons en place, à la manière dont nous parlons, même à la façon dont nous nous considérons, à notre image de soi ou à notre identité. Parfois, ces habitudes et ces routines peuvent même être destructrices, mais nous sommes souvent réticents, incapables ou même résistants au changement. Le changement est difficile. Cela nécessite un regard attentif sur nous-mêmes et sur nos vies. Réfléchir à la manière dont nous faisons toujours les choses et à la façon dont nous ne les avons jamais faites exige de l’humilité. Bien que l’humilité puisse venir facilement en temps de détresse, elle dure rarement au-delà de la crise et nous revenons rapidement à nos vieilles habitudes.

Dans parachat Vaéra, Moshé approche Pharaon plusieurs fois pour lui demander de laisser partir son peuple. Hachem “endurcit” le cœur de Pharaon et envoie les sept premières plaies une par une. La maîtrise de Hachem sur la nature, les miracles accomplis, étaient évidents pour tous. En outre, le fait que seuls les Égyptiens souffraient tandis que les Juifs restaient indemnes n’a fait qu’ajouter à l’ampleur des miracles.  Néanmoins, Pharaon restait impassible. Certes, il pouvait facilement reconnaître que cela dépassait les simples prouesses magiques. Comment pouvait-il rester de côté et ne pas faire cas de la souffrance de son propre peuple?

Rav Leib Chasman suggère que bien que Pharaon ait pu savoir qu’il avait tort, il ne pouvait pas l’admettre. Il était après tout le souverain suprême de toute l’Égypte. Reconnaître les miracles de Hachem aurait signifié admettre qu’il y avait quelque chose de plus grand que lui, roi tout-puissant. Il devait à tout prix protéger son image de lui-même. Comme mentionné dans Maaerchi Leiv, l’honneur d’une personne peut le consumer tout entier. Cette soif de gloire peut devenir aveuglante et empêcher une personne de réfléchir ou voir clairement. Le Ramban explique qu’il a ainsi « renforcé son cœur » contre ces miracles évidents afin de surmonter ses peurs. Le rabbin Yerucham suggère que Pharaon a simplement fermé les yeux sur ce qui se passait et sur ce que ça voulait dire. S’il avait sérieusement pris les événements en considération, ces plaies redoutables ne l’auraient pas échappé.  Pourtant, il se moquait toujours. Il n’a jamais pris le temps ni la peine de contempler ce qui se passait, il l’a simplement rejeté.

Finalement, cependant, certains Égyptiens ont pris note de ce qui se passait : « Ceux des serviteurs de Pharaon qui révéraient la parole du Seigneur mirent à couvert leurs gens et leur bétail dans leurs maisons, mais ceux qui ne tinrent pas compte de la parole du Seigneur laissèrent leurs gens et leur bétail aux champs. » (Chemot 9:20-21). Le Midrash explique que ce dernier était Bilam. Le rabbin Frand, commentant Bilam, constate que bien qu’il ait pu être assez intelligent, il était aussi “bien obtus”, ne tenant jamais vraiment cas de ce qui se trouvait juste devant lui. C’est cet aspect même du caractère de Bilam qui a précédé le miracle de son l’âne qui lui parlait. Le Chafetz Chaim souligne que l’histoire de Bilam est racontée presque comme un récit ininterrompu, car il ne s’est jamais arrêté pour réfléchir à ce qu’il faisait. Il a ignoré la tempête de grêle qui ravageait la terre, il a ignoré l’ange brandissant l’épée devant son âne et a juste continué sur son chemin absorbé par ses propres pensées et préoccupations.

La question qui se pose est à quel point sommes-nous vraiment différents de Pharaon et de Bilam? Nous voyons des choses dans nos vies que nous savons que nous devons changer, mais les mettons rapidement hors de notre esprit.  Nous sommes tous coupables, à un moment ou à un autre, soit de nier ce qui est devant nous pour préserver notre image de nous-mêmes ou de poursuivre dans nos croyances et nos idées. Pour vraiment voir le monde qui nous entoure, nous devons non seulement le regarder avec nos yeux, mais aussi avec notre cœur. Nous devons être ouverts aux possibilités et accepter le changement.

Mesillat Yesharim décrit la nature de l’esclavage dans lequel les Juifs se sont trouvés en Égypte. L’approche de Pharaon était d’augmenter la pression sur les esclaves pour les mener au point qu’ils n’arrivaient plus à réfléchir. Cela leur a laissé peu de temps pour contempler la nature des vies qu’ils menaient. Lorsque Pharaon a intensifié leur travail, ce n’était pas pour les priver de temps pour susciter une révolte, mais pour leur briser le moral en ne leur privant de temps de réfléchir. Ceux qui n’avaient pas le temps de manger ou de dormir, qui étaient dépassés par leurs tâches quotidiennes, ne pouvaient même pas contempler les paroles de Moshé.

Le rabbin Frand souligne que nous ne sommes pas différents aujourd’hui. Nous sommes tellement pris dans notre routine quotidienne, en nous précipitant de la maison au travail, à l’école, à l’entraînement de soccer, aux cours de natation… Dans notre bombardement perpétuel de courriels, de Facebook, d’Instagram, des médias sociaux… Nous nous arrêtons rarement pour lever la tête et regarder ce qui juste devant nos yeux. Nous ne prenons même pas le temps de réfléchir si TTWWADI est la bonne voie. L’esclavage peut également être défini comme « une dépendance ou une dévotion excessive à quelque chose ».

La Torah nous ordonne de nous souvenir de yétsiat mitzrayim, l’histoire de l’Exode, chaque matin et chaque soir. Nous ferions tous bien de respecter ce commandement et de nous rappeler que Hachem nous a libérés de la servitude; ne nous l’imposons pas.

Chabbat Chalom,

Dr. Laura Segall
Directrice de l’école

 

 

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