Une année, j’ai décroché un des boulots les plus convoités pour un étudiant d’université: travailler dans un bureau de vote pendant une année électorale. Il existe peu d’emplois pour étudiants qui paient aussi bien et leurs permettent d’accumuler beaucoup d’heures en peu de temps. Je ne rappelle même plus quel parti m’avait engagée. Je ne suis même pas sure si c’était une élection fédérale, provinciale ou même municipale. Mais je me rappelle avoir rencontré Jane.

Jane était l’une des personnes les plus bienveillantes et sympathiques que j’avais jamais rencontrées. Elle était aussi très bavarde. Donc au bout de trois jours, j’avais appris beaucoup sur elle. Cette femme qui paraissait heureuse était une mère célibataire de trois enfants sans emploi. Ils vivaient dans un appartement d’une pièce au sous-sol d’un immeuble et réussissaient à maintenir leur ménage sur ses chèques d’aide sociale, qu’elle complétait ici et là par de petits boulots. Inutile de dire que j’étais fascinée. Je n’avais jamais rencontré quelqu’un comme elle dans ma bulle de Côte St-Luc and je n’arrivais pas à comprendre comment elle faisait pour s’en sortir. Mais ça ne s’arrête pas là. Les enfants de Jane étudiaient tous la musique. Elle cuisinait pour un voisin âgé, un reclus qui avait été professeur de musique. En échange pour ses gâteries et pour les visites, il a prêté un de ses violons à son fils et lui a appris à jouer. Cette femme n’avait quasiment rien, et pourtant elle trouvait les moyens de se débrouiller et de donner aux autres.

La Paracha de cette semaine, Ki Tavo, commence avec la description de la mitsva de bikourim, où les Béné Israël devaient apporter les premiers fruits mûrs des chivat haminim, les sept espèces, à Jérusalem. La description de l’offrande des bikourim est aussi bien élaborée. C’est la seule offrande précédée par un discours sur l’histoire du peuple juif, avec accompagnement musical par les Lévyim chantant leur accueil aux porteurs de fruit, apportant un véritable esprit de simcha ou de joie à la circonstance. L’expression de remerciement, de gratitude pour le fruit que nous recevons est une raison de célébrer.

Comme le souligne le Rabbin A. Twersky MD, « la gratitude est l’essence de la mitsva de bikourim ». La gratitude est au cœur du judaïsme. Nous commençons notre journée par « Modeh ani », je remercie Hachem pour une autre journée. Nous remercions Hachem pour notre nourriture, notre richesse, de nous avoir créées tels que nous sommes… Notre gratitude est si essentielle à notre foi qu’elle doit être inclure également des objets inanimés. Lorsque Hachem a envoyé la première plaie sur les Égyptiens, il a dit à Moché de demander à Aaron de transformer l’eau du Nil en sang, ce Nile qui avait sauvé l’enfant Moché.

Plus loin dans la paracha, la Torah déclare : « Toutes ces bénédictions vous parviendront et vous atteindront » (Dévarim 28:2). Les commentateurs ont été déconcertés par cette formulation de bénédictions ou de malédictions « qui vous parviendront ». Rabbi Y. Frand se souvient du passage de Vayikra: « Et tu mangeras ton pain et tu seras rassasié » (26: 5). Rachi explique que cela signifie qu’un petit morceau de pain vous rassasiera et fournira toute la nourriture dont vous avez besoin. Le rabbin Frand souligne qu’il s’agit du summum de la bénédiction : « recevoir un bénéfice et en être conscient ». Ce n’est que lorsque nous sommes conscients de la bénédiction que nous avons reçue, quand elle nous parvient à l’intérieur et que nous l’intériorisons qu’elle devient une bénédiction dont nous pouvons être vraiment bénis.

Exprimer sa gratitude est lié à l’amélioration de la santé physique et mentale. La Harvard School of Medicine a récemment publié un article intitulé « Éloge de la gratitude : exprimer sa reconnaissance est peut-être l’un des moyens les plus simples de se sentir mieux. » Pour cultiver la gratitude, les auteurs recommandent de dire merci, de prier et de compter ses bénédictions.

Dans Pirké Avot, nous apprenons « Qui est riche? Celui qui se réjouit de son sort » (128:2). Rachi dans Avot (4:1) ajoute que nous pouvons avoir toutes les richesses du monde, mais si nous ne savons cette bénédiction, nous ne sommes pas mieux lotis que le plus pauvre des pauvres. Nous pouvons tous prendre exemple sur Jane. Son « attitude de gratitude », le fait de reconnaître la bénédiction dans les choses simples et importantes de la vie : un toit sur la tête, des enfants en bonne santé, de la nourriture et une famille à aimer. « De quoi ai-je besoin de plus? », dit-elle.

En effet, c’est vraiment une femme très riche.

Dr. Laura Segall
Diréctrice de l’école

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