Au risque de me vieillir, j’ai grandi fascinée par le monde de George Jetson, Jane, sa femme, son fils Elroy et sa fille Judy. Cette célèbre famille du dessin animé futuriste où les ordinateurs faisaient tout le travail, les robots dirigeaient le ménage et la maladie d’appuyer sur les boutons était courante. Mais je me demande encore ce qui est arrivé à la promesse d’un avenir rempli de machines permettant de gagner du temps et facilitant notre vie de manière fluide et facile. Nous voici, à l’aube de 2020, avec des machines sophistiquées et intelligentes qui font notre lessive, lavent notre vaisselle, gèrent nos maisons, nos voitures et parfois même nos vies. Nos vies aujourd’hui sont tout sauf faciles! À partir du moment où l’alarme sonne tôt le matin et nous nous traînons hors du lit pour entreprendre le trajet quotidien vers l’école, le travail, le covoiturage, les activités extra-scolaires, les courses et les réunions. Entre tout cela, nous essayons d’intervertir du temps pour la famille, les parents, les enfants, notre couple, la communauté, du temps personnel et même peut-être un peu de temps pour travailler sur les rapports apportés à la maison car nous n’avons pas eu assez de temps pour les terminer dans la journée. Et suite à tout ceci, nous nous effondrons, épuisés dans nos lits, prêts à recommencer le lendemain. Notre temps pour penser et réfléchir, lire et apprendre est révolu. Beaucoup d’entre nous vivons en mode réactionnaire constant, avec l’effet semblable à ce jeu fou d’arcade « whack-a-mole », où l’on tape sur la tête d’une taupe avec un marteau et une autre taupe surgit aussitôt d’un trou différent. Il n’est pas surprenant que les cliniciens constatent une augmentation du stress, de l’anxiété et de l’épuisement professionnel qui, à leur tour, peuvent contribuer au diabète de type 2, aux maladies cardiaques, aux problèmes gastro-intestinaux, au cholestérol élevé et même à la mort. Nous sommes trop nombreux à vivre cette expérience au quotidien, mais nous ne savons pas comment descendre de ce manège fou.

Dans Parachat Toldot, nous lisons un échange étrange entre Esav et Yaakov par lequel Esav vend son droit d’aînesse à Yaakov pour un bol de lentilles: « Un jour Jacob faisait cuire un potage quand Ésaü revint des champs, fatigué. Ésaü dit à Jacob: “Laisse-moi avaler, je te prie, de ce rouge, de ce mets rouge, car je suis fatigué. » (Beréchit 25: 29-30). De toute évidence, Ésaü devait être vraiment, vraiment fatigué, car la Torah répète le mot ayef signifiant « fatigué » deux fois de suite assez rapidement. On pense que le potage en question est une soupe de lentilles ou un ragoût préparé en deuil du récent décès d’Avraham Avinou, leur grand-père. Si Esav était si fatigué après une journée dans les champs, pourquoi ne pas simplement s’allonger? En fait, il était si fatigué et affamé qu’il a vendu son droit d’aînesse sans trop y penser.

Esav n’était pas seulement fatigué, il était épuisé. C’était un chasseur accompli et talentueux, au sommet de son art. Il s’était poussé au point qu’il ne s’en souciait plus, rien n’était plus important au-delà de ses instincts les plus bas. Le rabbin J. Soleveitchik explique qu’Esav était « fatigué de tous son succès et de toutes ses conquêtes. Il était épuisé et déçu. C’est comme l’homme moderne qui, avec tous ses progrès, ses innovations et ses inventions, est toujours plein de doutes internes, torturé par la déception, tourmenté par l’anxiété, craignant la mort. Esav est venu des champs et il était fatigué. »

Le contraste entre les deux frères est exhibé juste avant l’échange. « Ésaü devint un habile chasseur, un homme des champs, tandis que Jacob, homme inoffensif, vécut sous la tente. » (Beréchit 25:27). Dans le monde d’aujourd’hui, ce sont les Esau qui sont valorisés, qui bougent et secouent le monde, tandis que ceux qui sont calmes, réfléchis et tranquilles, sont souvent ignorés.

Fait intéressant, Targoum Onkelus traduit “yodéah Tzayid” celui qui connaît le domaine comme étant “batlan” ou celui qui ne fait jamais le bien. En abandonnant son droit d’aînesse, Esav a renoncé à sa spiritualité, choisissant de ne se soucier que de l’actuel, du physique du présent, de l’homme bas et animal. Tandis que Yaacov est celui qui construit quelque chose qui durera. Il est, en fin de compte, le véritable homme d’action, père d’une nation entière.

David Hamelech a dit: « Orach chaim lema’alah l’maskil– l’homme sage vit une vie d’ascension » (Rouah Haim 1:13), poursuivant constamment sa croissance, ne s’arrêtant jamais. Dans notre course folle pour tout faire, nous oublions de faire une pause, de prendre le temps de respirer, de réfléchir, de poursuivre non seulement nos besoins physiques mais aussi de satisfaire nos besoins spirituels. Lorsque nous sommes fatigués, notre jugement est altéré et nous ne prenons pas de bonnes décisions. En nous enlisant de jour en jour, nous perdons de vue les choses importantes de la vie et renonçons essentiellement de nouveau à notre droit d’aînesse. L’ambition et la détermination sont de bonnes choses, mais il y a un besoin d’équilibre et de ces moments tranquilles.

Dans notre version 2020 du monde des Jetsons, nous devons poursuivre activement cette tranquillité et cette spiritualité. Nous devons consciemment prendre le temps de poursuivre notre croissance et de construire quelque chose qui durera comme Yaakov Avinou. Pour moi, ce moment est le Chabbat. C’est un moment pour approfondir mes liens avec ma famille et pour recharger mes batteries spirituelles, pour étudier et pour réfléchir. C’est un moment dans la semaine que je défends et que je protège pour moi-même et pour ma famille. C’est un moment pour respirer et pour évoluer dans un monde fou. C’est dans ces moments tranquilles et spirituels que nous nous lions véritablement les uns aux autres et avec Dieu ,et que nous nous concentrons sur les choses vraiment importantes dans la vie.

Je vous souhaite à tous un Chabbat relaxant et significatif,

Dre Laura Segall
Directrice de l’école

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